Les psychologues ont-ils le droit de souffrir psychiquement ?
Voilà quelques petites rengaines qui reviennent inlassablement quand on exerce le métier de psychologue et qu’en plus, on est parent.
« Toi qui es psy, ton enfant ne fait jamais de colères j’imagine ! »
« Quoi ? Tu fais une dépression du post-partum ? Mais t’es psy ! »
« Oui enfin toi, en tant que psy, tu sais gérer tes émotions ! »
Il y a ce mythe tenace, selon lequel nous occuper de la santé mentale des autres nous protégerait de toute souffrance psychique personnelle, voire de toute difficulté dans nos relations aux autres et notamment à nos enfants.
Or, il est temps de décortiquer ce mythe et de dire la vérité : les psychologues peuvent souffrir de dépression, les psychologues se disputent avec leurs enfants, et les psychologues sont légitimes dans ces difficultés !
Un psy en dépression ! Mais comment est-ce possible ?
Avant toute chose, il faut avoir conscience que la dépression est une pathologie émanant d’une convergence de multiples facteurs. Ces facteurs sont :
- internes : comme l’histoire personnelle du psychologue, son estime de lui-même, ses croyances envers lui-même, ses traumatismes, ses deuils, ses styles de comportements…
- biologiques : la survenue d’une dépression engendre des perturbations dans la régulation de certaines substances chimiques dans le cerveau (les neuromédiateurs)
- externes : par exemple la surcharge de travail, le style de société dans laquelle il vit, une séparation avec un(e)conjoint(e), des difficultés financières, un lieu de vie dégradé, le tempérament inné de l’enfant ou ses éventuels troubles…
Bref, ces facteurs sont très nombreux et bien souvent, le psychologue n’a pas le contrôle sur ceux-ci, comme tout être humain.
C’est pourquoi il n’est, pas plus qu’une autre personne, protégé contre une dépression quand des facteurs viennent se surajouter aux autres. Cela est d’autant plus vrai lors des périodes de fragilité psychique telle que le post-partum !
Les études de psychologie nous ont appris à reconnaître certains comportements, à les classifier, à aider un patient à réguler ses émotions par exemple. Mais toutes ces connaissances ne nous empêchent pas de vivre ces émotions nous-mêmes. Par exemple, ce n’est pas parce que j’accompagne un patient dans son deuil que je ne serais pas moi-même dans une profonde tristesse si je perdais un être cher. Nos études ne nous protègent pas de la souffrance mentale.
Nous sommes payés pour analyser les comportements de nos patients, notre regard extérieur nous permet de les aider à pointer leurs difficultés : parce que nous ne sommes pas dans leur situation, et que nous avons ce recul pour les éclairer.
Oui, nous braquons nos lampes sur eux pour les aider à y voir plus clair. La plupart des psychologues ont une supervision dans le cadre professionnel qui leur permet de réfléchir à leur clinique, de les aider à cheminer sur certaines thérapies en cours. Cependant, il arrive aussi qu’ils traversent des périodes plus sombres sur le plan personnel et qu’ils puissent avoir besoin d’être accompagnés. C’est alors qu’ils ont recours eux-mêmes à une thérapie par un autre professionnel de santé mentale. Ce n’est en rien honteux donc qu’un psy se fasse suivre par un autre psy, c’est simplement la vie et la nécessité parfois d’être aidé pour guérir.
On lit souvent sur les réseaux sociaux la croyance selon laquelle un psychologue ayant subi une dépression, n’aurait plus la légitimité de soigner ses patients ou de prodiguer des conseils. Qu’une psychologue qui rencontrerait des difficultés avec ses enfants ne serait pas en mesure d’accompagner des familles dans le mieux-vivre. Cependant, un dentiste ayant eu une carie deviendrait-il incapable de soigner correctement des dents ?
Par ailleurs, un psychologue ayant subi une dépression et s’étant fait soigner, est bien plus à même de comprendre les souffrances de ses patients, et de les accompagner dans leurs difficultés. Tout comme un dentiste ayant souffert d’une carie comprend la nécessité d’une bonne anesthésie !
Un psychologue reste donc un être humain avec ses failles, ses événements de vie, ses souffrances. Et nos connaissances ne nous prémunissent pas contre la souffrance.
T’es psychologue mais tu cries sur tes enfants ?
Qu’il est difficile aujourd’hui de se faire confiance en tant que parents ! Nous recevons des tonnes d’injonctions qui nous culpabilisent et en tant que psys, nous sommes souvent en première ligne de tirs !
Il y a cette croyance selon laquelle, parce que nous avons fait cinq ans d’études, nous devrions savoir faire avec nos enfants, qui seraient d’ailleurs l’incarnation même de la sérénité… cependant je n’ai jamais lu dans un livre de psychologie comment rester calme quand deux enfants hurlent à l’arrière de la voiture pendant 20 minutes. Mes oreilles sont humaines, elles ne supportent pas un certain niveau de décibels et je réagis comme je peux. Parfois en criant, d’ailleurs !
D’après ce mythe, nous devrions être exemplaires, car nous détiendrions un savoir permettant de faire changer le comportement de nos enfants. Or nous ne sommes pas sachants quand nous sommes en repas de Noël et qu’ils sont intenables. Non, nous sommes juste des parents. Débordés parfois, stressés… car comme tout parent, nos enfants nous mettent face à nos propres contradictions, nous ne savons pas toujours comment réagir. Le couperet tombe alors, car en tant que psychologue nous devrions « savoir ». Cependant, nos études ne nous enlèvent pas le droit à l’erreur. Le titre de psychologue n’est pas une baguette magique effaçant par enchantement toutes les difficultés et complexités relationnelles d’une famille.
Il est temps, il me semble, de sortir de ce mythe du psychologue qui analyse tout, tout le temps. Au travail, nous donnons énormément d’énergie mentale dans l’accompagnement de nos patients. Nous sommes payés pour ça ! Avec nos enfants, nos conjoints, nous ne sommes pas dans l’analyse perpétuelle. Nos lampes sont éteintes, d’abord parce que nous n’avons souvent plus d’énergie mentale à consacrer à notre entourage, et ensuite parce que nous menons notre vie. La même vie que tout le monde, avec les devoirs, les bains, les moments précieux d’oisiveté… Nous ne sommes pas systématiquement concentrés sur l’analyse de nos enfants. Si mon enfant me hurle dessus, je ne vais pas toujours prendre le temps d’observer la scène en cherchant des solutions, les tenants et les aboutissants comme je le ferais en thérapie. Non. Je vais agir tout simplement avec l’espoir de faire au mieux. J’ai beau être psy, souvent je ne sais pas quoi faire face aux crises de mon enfant de 3 ans, aux pleurs incessants de mon bébé de quelques semaines. Je n’analyse pas systématiquement ni mon enfant, ni moi-même. Je vis ce qu’il se passe. Tout comme un dentiste ne passe pas son temps à regarder les dents de ses amis !
Nous assistons à une montée en puissance de psychologues qui prônent des concepts en parentalité et affirment leur validité parce qu’ils sont parents aussi. Cependant, être psychologue ne fait pas de nous de meilleurs parents que les autres. Nous avons des connaissances sur les différentes (et nombreuses !) théories du développement de l’enfant certes, mais le constat reste le même. Les psychologues sont avant tout des êtres humains avec leurs failles, leurs tâtonnements et leur business, il faut bien l’avouer. Être psychologue ne nous donne pas LE savoir. Aucune étude ne détient le secret d’une éventuelle parentalité idéale. Aucun cours en psychologie ne permet d’affirmer quelle est la meilleure façon d’exercer son rôle de père ou de mère.
Conclusion :
Le métier de psychologue est essentiel dans la prise en charge de la santé mentale. Le paysage actuel de la parentalité fait peser un lourd tribut d’injonctions sur les parents. Les réseaux sociaux sont une mine d’informations parfois précieuses, souvent contradictoires et peu aidantes. L’accompagnement d’un psychologue reste alors indispensable quand nous souffrons dans notre parentalité.
Les réseaux sociaux contribuent à alimenter un climat de suspicion concernant les psys, car certains ont osé prendre la parole et témoigner de leur propre passage par la dépression. Cependant il est temps de rappeler qu’ils sont avant tout des parents, des êtres humains, qui n’ont pas été immunisés des souffrances psychiques par leurs études. Et c’est tant mieux, ils sont ainsi plus à même de comprendre, d’aider leurs patients à cheminer. Par ailleurs, il est important de rappeler que les études de psychologie ne permettront jamais à quiconque d’affirmer quelle serait la façon d’être un bon parent.
Nous ne pouvons qu’éclairer, accompagner, aider à comprendre et à modifier des comportements. Et ce sera assez.
Cécile, psychologue