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Allaitement,  Santé mentale des mères

Rose : le choix éclairé de ne pas allaiter 

Quand on est une future maman, on tombe toujours à un moment ou à un autre sur un média (post sur les réseaux sociaux, affiche chez la sage-femme, dépliant d’association, etc…) faisant la promotion de l’allaitement, et mettant en avant les bienfaits de celui-ci pour le bébé. Le but affiché ? Permettre aux futures mères de “faire un choix éclairé” concernant le nourrissage de leur enfant. 

Oui mais voilà ! Qui a connu les nombreuses difficultés qui peuvent survenir lorsqu’on essaye d’allaiter son enfant au sein (échec, épuisement physique ou émotionnel, douleurs, sentiment d’aliénation…), sait que la promotion de l’allaitement passe sous silence un certain nombre de facteurs du côté maternel qui permettraient aux futures mères de “faire un choix éclairé”. A croire qu’il n’y a que le bébé et une paire de seins bien remplis dans une histoire d’allaitement …

Rose, alias @mereababord sur Instagram, a vécu toutes ces difficultés après la naissance de son premier enfant, et a fait le choix éclairé de ne pas allaiter son second bébé, en conscience de ce que tout cela impliquait. Un discours que l’on entend trop peu, une parole dissidente et ô combien essentielle qui a suscité chez moi de nombreuses questions, auxquelles elle a gentiment accepté de répondre…

 

Camille : Bonjour Rose ! En introduction de cet article, peux-tu rapidement te présenter et nous présenter ta famille ? 

Rose : Hello ! Moi c’est Rose, 35 ans, 2 enfants : chaton 4.5 ans, et mini chaton 20 mois. Je suis mariée avec leur papa, un mec que j’aime, qui fait sa part, qui n’est pas un masculiniste conservateur et qui s’implique. Ce n’est pas pour ça que notre foyer est exempt de déséquilibres et de disputes, ceci dit !

Camille : Peux-tu nous raconter un peu ton parcours de mère ? Comment as-tu vécu ta première maternité, et en particulier l’allaitement dans cette première maternité : quel était ton regard là-dessus, l’impact des discours des professionnels, des réseaux sociaux, de l’entourage ? 

Rose : J’ai eu la chance de tomber rapidement enceinte de chaton. J’ai fait partie des femmes enceintes qui braillent que “ la grossesse n’est pas une maladie “. En fait, j’ai répété ce qu’on m’avait appris, et j’ai repoussé et nié la vulnérabilité que la maternité allait finalement m’imposer. J’avais décidé d’allaiter. Après coup, je réalise que c’était une décision sans grand engouement.

De mes lectures sur l’allaitement, j’avais retenu que ça faisait maigrir, que “c’était le meilleur pour mon bébé“, que “c’était facile“ que “tout le monde pouvait le faire”. Mais au final je n’avais aucune raison qui m’appartenait vraiment. Je fantasmais l’allaitement, qui était aussi présenté comme un lien suprême avec son enfant, comme s’ il fallait en passer par là pour avoir ce lien spécial. Ayant moi-même des relations compliquées avec mes parents et plus précisément ma mère, je suppose que je cherchais à rattraper quelque chose. Avec du recul, je me rends compte que tout ça partait très mal.

La naissance de chaton a été compliquée. Il a fait une détresse respiratoire à la naissance, et nous avons été séparés car il a été transféré dans un autre hôpital. C’était l’horreur, la douleur vertigineuse, le cœur en dehors de la poitrine.

A partir de ce moment-là, l’allaitement est devenue MA mission, une mission qui avait pour but de réparer cette naissance que je considérais comme ratée, pas suffisante, trop douloureuse. J’ai estimé que seul l’allaitement pouvait compenser la séparation avec mon bébé dès sa première minute de vie. Les discours dogmatiques que j’avais consultés, sur la nécessité du peau à peau, du maternage proximal pour créer du lien, m’ont véritablement foutue en l’air dans le cadre de cette séparation précoce avec mon bébé. À cet instant, j’estimais que sans allaitement, je ne rattraperai jamais ce retard avec mon fils.

Sauf que je ne produisais pas assez de lait, mais comme je pensais que donner un biberon c’était “ choisir la facilité, c’est à dire ne pas s’investir assez “  car “ toutes les femmes peuvent allaiter “ (comme on le lit partout), j’ai consacré le peu d’énergie que j’avais à faire du “sein paille” (dispositif d’aide à lactation au sein : on prépare un biberon de lait dans lequel on introduit une sonde, que l’on attache ensuite au sein de la mère. Le bébé doit prendre en bouche le sein et la sonde, afin de stimuler la lactation tout en recevant une quantité de lait suffisante par le biberon, ce qui doit l’aider à ne pas s’énerver au sein et à poursuivre ses efforts de succion, ndlr) dans les hurlements, la boule au ventre. Ni moi, ni mon mari ne pouvions dormir, puisqu’il fallait être deux pour mettre en place le dispositif, qui était une vraie galère à préparer, à faire tenir, à mettre dans la bouche du bébé. Résultat, je paniquais dès que mon bébé avait faim. J’étais complètement étouffée par le fait d’être sa seule source de nourriture.

Non, toutes les femmes ne peuvent pas allaiter. C’est faux.  Parfois ça ne marche pas physiquement, psychologiquement. 

Alors que chaton hurle, qu’il fait 40 degrés, qu’il a faim, qu’il a soif, que je n’ai pas de lait, qu’il n’attrape pas mon sein, que le peu que je tire ne suffit pas, je donne le premier biberon, en pleurant aussi bien de peur que de soulagement. Il boit tout d’une traite.

Après cela, j’ai sombré dans une dépression du post-partum qui a duré plusieurs mois.

Camille : Comment s’est construite la réflexion autour de l’arrivée de ton deuxième enfant ? Quand tes questionnements autour du (non) allaitement ont-ils commencé ? Quelles ont été les raisons de ce choix ? As-tu beaucoup hésité ? Avec qui as-tu (ou pas) discuté de ce choix ? Comment a réagi ton entourage (conjoint, famille, amis) ? Comment as-tu composé avec la culpabilisation des mères omniprésente sur ce thème ? 

Rose : Après la naissance de chaton, juste après, je regrettais même d’être maman. La découverte de la maternité s’est tellement faite dans la douleur et la peur d’abord, et dans l’échec ensuite, que je me demandais si j’allais pouvoir y survivre. Je me suis fait aider par une psychologue et j’ai pu aller mieux. J’ai pris conscience qu’on peut être maman sans avoir H24 la peur au ventre. 

J’ai peu à peu retrouvé l’envie d’un second enfant, envie qui n’avait jamais quitté mon mari. J’ai poursuivi mon suivi psy pendant toute la grossesse et après. Nous avons réfléchi ensemble à ce que nous pouvions mettre en place cette fois pour m’éviter la dépression post-partum, la mesure-phare étant le partage équitable du sommeil. L’épuisement physiologique à l’arrivée du premier avait largement contribué à me faire sombrer dans la dépression, et je savais qu’il fallait éviter ça. C’est à ce moment que la réflexion autour de l’allaitement du mini à venir s’est posée, dès la grossesse. Au départ il m’a semblé logique d’ABSOLUMENT faire cette tétée en salle de naissance avec mini, puisque je n’avais pas pu la faire avec son grand frère. Il FALLAIT que je saisisse “ cette chance”. J’appliquais la même réflexion à l’allaitement qui aurait suivi.  Il FALLAIT que je le fasse comme ça n’avait pas été possible la première fois. Un peu comme un principe stupide. C’était encore mettre l’allaitement au centre de tout.  Il allait déterminer la réussite ou mon échec maternel. Il allait être l’évaluation de ma maternité.

J’en ai parlé avec mon mari qui m’a demandé “ pourquoi veux-tu allaiter ?“
Je ne savais répondre que “Car je n’ai pas pu pour chaton“. Il m’a très simplement dit “ et alors ? ” Oui, effectivement. Ce n’est pas une raison. Je n’ai jamais trouvé d’autres raisons. J’aimais l’idée d’allaiter, l’image des magazines. La version glam où tout roule, tout est évident et emprunt de douceur. Mais c’est tout. J’aimais l’idée véhiculée, mais rien de plus. Et puis, je sentais mon mari inquiet pour moi à l’idée de revivre le même enfer que la première fois avec l’allaitement. 

Cela m’a permis de réaliser  que pour moi, allaiter c’était un risque en plus pour ma santé mentale. C’était évident. Et que le but de notre “plan” était précisément de protéger ma santé mentale, c’était la priorité. J’ai pu décider que l’allaitement n’était pas pour moi. C’était clair et net. Être la seule source de nourriture, ne pas pouvoir me déplacer sans m’organiser, rogner davantage sur mon sommeil que le second parent. C’était non. Non et non. Je ne souhaitais pas faire ce sacrifice. C’est à ce moment que j’ai décidé qu’il y aurait un biberon donné en salle de naissance à mon bébé. Que je voulais pouvoir me concentrer sur son petit nez, sur sa peau humide de moi, sur ses petits doigts sans guetter sa succion sur mon téton, la boule au ventre. C’était décidé. Un biberon en salle de naissance.

Je n’ai pas évoqué cette décision avec mon entourage mais j’ai la chance d’avoir un entourage qui allaite peu. Je dis la chance, car dans mon cas je n’ai pas ressenti de pression de mon entourage pour allaiter car c’est plutôt “la norme “ autour de nous.

Je n’ai pas spécialement ressenti de culpabilité sur les réseaux sociaux. Attention, pas parce que les discours culpabilisateurs n’existent pas, car ils existent en masse ! Je n’ai pas ressenti de culpabilité ou de malaise pour plusieurs raisons. La première c’est que j’avais fait un énorme tri dans les comptes suivis et que mon algorithme insta était au top grâce à des daronnes safe comme celles qui tiennent ce Collectif. J’étais donc peu au contact de ce genre de discours.

Ensuite, parce qu’aussi douloureux qu’aient été mes débuts dans la maternité, quand on te prend ton bébé a la naissance et que tu le vois être emmené par le SAMU sans savoir si …. (je peine encore à remplir ces pointillés), avec le recul tu peux voir les choses assez différemment. Mon  projet de naissance la deuxième fois, c’était d’avoir mon fils dans les bras. C’est tout. Et de l’alimenter moi-même, au biberon en l’occurrence. 

Le reste n’était que du vent. 

Camille : Je sais que tu portes des valeurs féministes : comment situes-tu ce choix au regard du féminisme ? 

Rose : Je le situe pour ce qu’il est, mon choix. Il est le bon, car il est bon pour moi. C’est ce que je souhaitais transmettre dans le post que j’avais rédigé à ce sujet sur mon compte insta, et dans ces lignes : c’est une possibilité, un choix qui est tout aussi légitime qu’un autre. Ce que j’ai envie de hurler c’est que ce choix d’allaitement, de non allaitement ou d’allaitement mixte doit  prendre en compte la mère. Son corps, sa santé mentale. Pas uniquement le bébé. Non, toutes les mères ne “peuvent pas allaiter “. Et ne pas avoir envie, vouloir préserver son sommeil, sa santé mentale, éviter d’activer des traumas passés ou actuels sont autant de raisons tout aussi valables que “ne pas avoir de lait ou une malformation qui rend l’allaitement impossible“ pour ne pas allaiter. 

Camille : Aujourd’hui avec un peu de recul, quel regard portes-tu sur ce choix ? As-tu des regrets ? 

Rose : Aujourd’hui, je sais que mon non allaitement m’a permis d’éviter un risque de dépression post-partum, m’a permis de rencontrer mon deuxième fils sereinement, en étant connectée au moment, à lui encore accroché à moi. C’est la meilleure décision que j’aurais pu prendre. Non seulement pour moi, mais pour toute la famille. 

2 commentaires

  • Nath

    Bonsoir!

    Merci beaucoup pour cet article! Je suis 100% d’accord avec Rose: 90% des mamans de mon entourage ont rencontré des problèmes horribles pour leur allaitement: crevasses, saignements, infections… et la seule réponse de leche league et consorts c’était: « vous n’avez pas une bonne position, toutes les femmes ont assez de lait, les douleurs ce n’est pas normal » en gros, si vous n’y arrivez pas c’est de votre faute, vous vous y prenez mal!

    Ce qui est totalement faux. Je n’avais jamais aussi mal que juste après avoir vu la conseillère en lactation et tenté d’appliquer ses conseils à la noix: mettre le bébé au sein « à la demande » quand il réclame H24 et que t’as mal à en pleurer, c’est vraiment une idée de m*/=rde!

    Et le ton culpabilisant et le regard méprisant de certains médecins ont bien failli me dégouter de l’allaitement.
    Si finalement j’ai réussi à passer le cap (3 mois de douleurs quand même!) ce n’est certainement pas grâce à cette clique!

    Et je peux dire avec le recul (mon expérience et celle de pratiquement toutes les mamans que je connais) que la propagande qu’on nous fait subir sur l’allaitement est extrêmement mensongère et culpabilisante.

    Et pourtant, j’ai allaité 1 an mon premier et 2 ans mon 2ème… Donc mon discours n’est pas basé sur un ressentiment face à un échec ou autre, mais vraiment par ce que j’ai ressenti face à des campagnes de culpabilisation et de mensonge sur l’allaitement soi disant facile.

    Après j’ai allaité longtemps parce qu’après en avoir bavé j’avais envie de profiter lorsque c’est enfin devenu facile. Mais je pense avoir eu moins de douleurs que beaucoup de femmes malgré mes galères.

    Et je trouve extrêmement stupide et condescendant de penser qu’une maman qui biberonne n’est « pas assez informée ». Comme si on pouvait échapper à toutes les campagnes de promotion de l’allaitement! Bien sûr qu’on est informées, et que le non allaitement est un choix parfaitement éclairé, tout autant que le choix d’allaiter!

    Gros bisous à toutes les mamans quelque soit leur choix,

    Nath

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