tableaux de récompenses renforcement positif
Education

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les tableaux de récompenses  #1

Adorés par certains, honnis par d’autres, les tableaux de récompenses font en tout cas parler d’eux dans le milieu de la parentalité et de l’éducation ! 

Malheureusement, force est de constater qu’on lit pas mal de bêtises à leur sujet et qu’ils sont souvent mal utilisés, que ce soit par les parents ou les professionnels, et pour cause : ils ne sont pas si simples à mettre en place, et pour être efficaces, doivent être structurés d’une manière bien précise. 

Alors, c’est parti pour un guide, qui se veut le plus complet possible, de mise en place d’un tableau de récompenses. N’hésitez pas à poser vos questions en commentaires, afin d’enrichir ce guide en fonction des besoins !

* Avant de lire cet article, il est vivement conseillé de lire l’article “Boîte à outils éducatifs #1 : la « félicitation spécialecar plusieurs concepts fondamentaux nécessaires à la bonne compréhension de la suite y sont expliqués ! *

 Les bases des tableaux de récompense

Les tableaux de récompenses, aussi appelés programmes à points (points program en vo) sont basés sur le principe de l’économie de jetons (token economy) (1). En psychologie comportementale, l’économie de jetons représente un système de gestion des contingences basé sur le renforcement positif systématique du comportement cible. 

C’est-à-dire que, comme pour la félicitation spéciale , on va cibler un comportement que l’on souhaite renforcer, ou trouver l’opposé positif d’un comportement délétère que l’on va pouvoir renforcer. Ce comportement cible sera l’objectif à atteindre, et, dès que ce comportement va apparaître, on va le renforcer. Sauf qu’ici, on va le renforcer à l’aide d’un symbole (jeton, étoile, bille, point …) donné à l’enfant, qui n’a pas de valeur intrinsèque mais qui pourra être échangé pour obtenir des privilèges ou des récompenses. 

La recherche sur le sujet montre que cette technique de renforcement est efficace pour faire disparaître les comportements problématiques et encourager les comportements prosociaux, avec des sujets de tous âges, à la maison (2), comme dans les salles de classes (3, 4). Toutefois, ce type de tableau est assez technique, et demande un investissement conséquent, aussi je ne peux que vous conseiller de prioriser des techniques plus simples comme les antécédents, la félicitation spéciale, la modélisation… Il me semble pertinent de le réserver à des comportements sur lesquels les autres outils n’ont pas eu d’effet.

 

Les ingrédients d’un tableau de récompenses qui fonctionne :

  • Un comportement cible formulé en langage d’action positif 

On commence par sélectionner un comportement que l’on veut atteindre (le fameux “comportement-cible”) qu’on formulera toujours en langage d’action positif. On ne peut pas renforcer l’absence d’un comportement ou un non-comportement, comme par exemple “ne pas taper”, sinon, quand donner un jeton à l’enfant ? Quand il dort, il ne tape pas, quand il mange, il ne tape pas, quand il fait pipi, il ne tape pas… Bref, vous voyez le problème. Dans le cas d’un comportement que l’on veut voir disparaître, on va donc réfléchir à un comportement opposé positif. 

Pour cela, on s’aide des autres éléments du contexte : quand le comportement apparaît il ? Pourquoi ? Par exemple, pour “ne pas taper”, si on a observé que l’enfant tape l’adulte dès qu’il est frustré, le comportement opposé positif pourrait être : “Quand je suis en colère contre maman ou papa, j’exprime ma frustration avec des mots, sans taper”. La nuance peut vous paraître subtile et peu importante, mais elle est fondamentale, puisque avec une proposition de ce type, on permet à l’enfant de remplacer un comportement délétère (taper) par un comportement sain (s’exprimer par la parole), on ne laisse pas l’enfant avec une interdiction de taper mais aucun moyen de réguler son émotion. Les parents doivent jouer ce rôle de co-régulateur émotionnel, les enfants n’ayant pas la capacité de faire seuls ce travail. 

 

  • Un comportement clair et spécifique 

Plus le comportement est clair et spécifié, plus il sera facile pour votre enfant de comprendre ce que vous attendez, et pour vous de savoir quand il faut renforcer le comportement. Un comportement comme “être gentil avec les autres” est un parfait exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Que signifie “être gentil” ? Rendre service, être poli, faire preuve d’empathie, jouer calmement avec les autres… ? Ce comportement est beaucoup trop vague pour que l’enfant sache précisément quoi faire et que vous sachiez quand donner un jeton. N’hésitez pas à spécifier un maximum le comportement, en y ajoutant des conditions de réalisation. Par exemple, si vous voulez que votre enfant participe aux tâches ménagères, “participer aux tâches ménagères” risque d’être voué à l’échec, car votre enfant ne saura pas exactement ce qui est attendu. “Le soir, je participe à la mise du couvert avec papa et maman” a plus de chances d’être bien compris et suivi. Et certains enfants vont avoir besoin de comportements extrêmement spécifiques, comme “A 18h30, je mets les assiettes, les couverts, les verres et les serviettes sur la table”. Le niveau de spécification dépendra aussi, bien sûr, de ce que vous voulez !

 

  • Un bon dosage de la difficulté 

Veillez à ce que les comportements cibles que vous formulez soient “ni trop, ni trop peu”, que ce soit en nombre de comportements et en difficulté. Un tableau de comportement avec 10 comportements risque de se solder par un échec. Gardez à l’esprit que changer demande des efforts, et que ce type de tableau va solliciter de l’énergie chez votre enfant, qui devra être attentif à son comportement et fournir des efforts pour modifier ses réponses comportementales. En demander trop, c’est généralement ne rien obtenir. Entre 2 et 4 comportements, c’est largement assez. Si vous voyez des tonnes de comportements à travailler, priorisez en ciblant ce qui pose le plus problème.

De la même manière, il est contreproductif de formuler des objectifs inatteignables ou irréalistes. Par exemple, demander à un enfant de 3 ans très actif de rester assis à table pendant toute la durée du repas, si celui-ci dure 45 minutes, n’est pas un objectif réaliste. Il y a toujours un juste milieu à trouver entre les souhaits du parent et les capacités de l’enfant.

 

  • Un renforcement de chaque progrès 

A l’impossible nul n’est tenu, et on ne demande certainement pas à l’enfant de changer de comportement du jour au lendemain. Les comportements ne doivent pas être trop difficiles à mettre en œuvre, ni constituer une rupture brutale avec les habitudes comportementales de l’enfant. Rappelez-vous que comme pour toutes nos stratégies éducatives, on cherche à ancrer une habitude sur le long terme, et que cela ne peut se faire que progressivement.  

Pour que votre tableau de récompense fonctionne, il faudra renforcer chaque progrès, chaque effort, sans attendre un résultat parfait dès le départ. Cette donnée est essentielle pour maintenir la motivation de l’enfant, qui percevra qu’il progresse, et également que les récompenses sont atteignables en faisant des efforts. Si la récompense n’est obtenue qu’avec un comportement parfait, vous risquez fort de ne jamais voir ce comportement apparaître ! Pour renforcer correctement les progrès, vous aurez peut-être besoin de séquencer le comportement, ou de fractionner la récompense. Par exemple,vous souhaitez que votre enfant cesse de vous appeler en pleine nuit pour des motifs tels que “j’ai soif”, “j’ai envie de faire pipi”, “est-ce que tu savais que le bébé du bison s’appelle le bisonneau ?”, ce qu’il fait en moyenne 3 fois par nuit; Après vous être assuré qu’il a une gourde d’eau remplie, un pot ou des toilettes facilement accessibles, et lui avoir garanti que la taxonomie des bisons vous intéressera nettement plus au petit-déjeuner, deux possibilités s’offrent à vous : 

donner un nombre d’étoiles en fonction du nombre de réveils : 0 appel = 3 étoiles, 1 appel = 2 étoiles, 2 appels = 1 étoile, 3 appels = 0 étoile. 

formuler un comportement cible progressif. En commençant par exemple par, “j’appelle papa ou maman 2 fois maximum par nuit” puis quand cet objectif est atteint “1 fois maximum par nuit” pour terminer par “je passe toute la nuit sans appeler papa ou maman”. On peut matérialiser ces autorisations de rappel par des “laissez-passer” qu’on retire progressivement. 

 

  • Un renforcement du comportement, pas du résultat 

Les tableaux de comportement sont parfois vus comme des outils de “chantage”, et, au-delà d’un dogmatisme qui ne s’autorise pas la réflexion, cela est vraisemblablement dû à un manque de compréhension et/ou une mauvaise application de ces principes par certains.es, et notamment de l’objectif visé par ce type d’outil. 

Avec un tableau à points, l’objectif est de renforcer des comportements souhaités à l’aide de récompenses, mais jamais de soumettre l’enfant à l’obtention d’une récompense en fonction d’un résultat qu’il ne maîtrise pas. Par exemple, “obtenir au moins 10 de moyenne en maths” ne peut pas constituer un comportement cible de tableau à points, car on ne cible pas un comportement mais une conséquence, un résultat. Tout d’abord, ce n’est pas votre enfant qui note les devoirs, et on sait qu’en fonction du professeur, le système de notation peut être très variable. L’enfant ne maîtrise pas ce paramètre. D’autre part, peut-être que votre enfant a de grandes difficultés en mathématiques et que, même en travaillant beaucoup, il n’obtiendra jamais 10 car ce résultat est hors de sa portée. En revanche, vous pouvez tout à fait renforcer un comportement comme “faire 1 exercice de maths chaque soir”. Pour les enseignants, le principe est le même : on ne donne pas de point à un élève pour un résultat, mais pour un progrès, un effort.

 

  • Des gains inamovibles 

Un point trop souvent mis à mal : on ne retire pas de points gagnés dans un programme à points. Chaque point gagné est acquis définitivement, et ce même si un comportement délétère suit le comportement qui a permis de gagner le point. Donc, même si l’enfant tape après avoir obtenu un point pour avoir exprimé sa colère avec des mots, sans taper, on ne lui enlève pas le point. Cela reviendrait à annuler l’effort qui a été fait pour se comporter de façon adéquate, l’inverse de ce que l’on cherche à faire. 

Dans le même ordre d’idées, on n’enlève pas de points à un enfant qui les a gagnés parce qu’il a fait quelque chose de peu souhaitable par ailleurs. Même si Kévin a été plus que pénible tout le reste de la journée, on ne retire pas le point qu’il a obtenu pour avoir arrêté la télé dans le calme lorsque vous l’avez demandé le matin. Pour être tout  à fait honnête, la recherche sur les sujets animaux tend à montrer que la suppression de jetons s’avère aussi efficace que le gain pour modifier les comportements (5), mais dans la pratique, je constate que les parents qui suppriment des points le font souvent de façon arbitraire, en étant très énervé, ce qui n’est clairement pas la stratégie adéquate. 

Cela ne signifie pas que pendant la durée de mise en place d’un tableau de comportement, aucune conséquence ne sera appliquée aux mauvais comportements, et vous pouvez tout à fait retirer un privilège, retirer votre attention, imposer un temps à l’écart, mais je vous conseille vivement de le faire “hors tableau”, afin de ne pas vous mélanger les pinceaux. 

D’autre part, j’ai pu voir dans des classes des tableaux de comportement “à l’envers”, ou les enfants partent avec un solde de points de départ, par exemple de 3 étoiles, qu’ils peuvent perdre au fil de la journée, au profit de comportements comme taper, ne pas écouter les consignes, bavarder … Les enfants qui ont conservé des étoiles peuvent ensuite les dépenser pour des privilèges. Soyons clairs : ce n’est pas un tableau de renforcement positif, mais un tableau de punition négative. Certes, sur le papier, ça se ressemble, mais d’un point de vue psychologique, le principe n’est pas le même. Ce type de technique a tendance à générer des conséquences annexes peu souhaitables (stigmatisation des élèves les plus difficiles, animosité envers l’enseignant, augmentation des comportements de provocation …). Les stratégies punitives ne sont pas à bannir, mais aucune stratégie punitive ne devrait être utilisée seule, et aucune ne devrait constituer l’outil éducatif principal. 

 

  • Des gains systématiques 

Un autre écueil courant du tableau à points est le renforcement “quand on y pense” des comportements cibles. Ceci est particulièrement vrai dans les classes où l’enseignant ne peut pas être attentif au moindre comportement de chaque élève, mais on trouve aussi ce problème en famille ou, pris par le temps, on peut facilement oublier de donner un point quand le bon comportement se produit. Sans être dramatiques, les oublis vont diminuer l’efficacité de la technique. D’où l’intérêt de ne pas trop se compliquer la tâche avec des tonnes de comportements inobservables et de réserver les comportement cibles du tableau à des moments clés : sommeil, repas … afin de pouvoir ritualiser la distribution des points (après chaque repas, le matin au réveil…) ou à des comportements véritablement problématiques, afin d’être sûr qu’on n’oubliera pas de notifier un changement. On conseille aussi vivement de mettre l’outil visuel qui servira de support au tableau à un endroit de passage ou il sera bien visible. Typiquement, le frigo est l’endroit idéal. 

Rappelez-vous que le tableau ne dure qu’un temps, et que cela vaut la peine de se mobiliser sur ce type d’action éducative temporaire. Vous pouvez vous mettre des rappels sur le téléphone comme pense-bête et, avec un peu de chance, le tableau sera très investi par vos enfants qui ne manqueront pas de vous rappeler que vous devez leur donner une étoile 🙂

Dans un prochain article, nous aborderons des exemples détaillés et des suggestions de récompenses !

Alors, quelle est votre première impression à cette lecture ? Cela a-t-il changé votre avis sur les tableaux de récompense ?

Bibliographie

  1. Alan Kazdin, The Token Economy : A Review and Evaluation, Springer Science & Business Media, 6 décembre 2012, 342 p. (ISBN 978-1-4613-4121-5)
  2. https://www.researchgate.net/publication/345303162_The_Effects_of_a_Token_Economy_System_to_Improve_Social_Academic_and_Behavior_Skills_with_Children_in_KSA 
  3. https://repository.stcloudstate.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1164&context=sped_etds 
  4. https://cornerstone.lib.mnsu.edu/cgi/viewcontent.cgi?referer=&httpsredir=1&article=1342&context=etds 
  5. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2648534/ 

2 commentaires

  • Laetitia

    Bonjour! Merci pour cet article très complet et toujours aussi pertinent.
    Mon fils de 3 ans et demi nous réclame systématiquement un biberon à 5h pour se rendormir ensuite. Ce n’est clairement pas nutritif car il mange bien le soir. On souhaite le supprimer à l’aide de ce tableau. En termes de formulation, est ce que « je bois mon biberon à table au réveil » est suffisant claire? Faut-il faire des palliers pour l’encourager davantage? Merci encore pour vos précieux conseils!

    • Le Collectif A!C

      bonjour, merci pour ce retour ! Pour un 3 ans et demi, la formulation devra de toutes façons être accompagnée d’explications claires sur ce qui est attendu, du type « tu auras une étoile si tu bois ton biberon à table au réveil, au lieu de le boire dans ton lit ». Le risque dans cette situation est qu’il se réveille définitivement à 5h … Dans ce cas on peut mettre en place un réveil indicateur type réveil lapin et décaler petit a petit l’heure de lever du lapin. A tester également : mettre à disposition une gourde d’eau que l’enfant peut utiliser en autonomie lors de son réveil a 5h pour se rendormir ensuite.

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