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Allaitement

« Avant il n’y avait pas de biberon, les femmes allaitaient, voilà tout ! »

A lire certains sites faisant la promotion de l’allaitement maternel, l’allaitement au sein aurait toujours été une pratique intuitive et ancestrale, tandis que l’allaitement au biberon serait une hérésie moderne occidentale. Le Collectif A!C a donc décidé d’aller enquêter sur les origines historiques du biberonnage.

Disclaimer : le but de cet article n’est pas de dire que l’allaitement n’est pas naturel, ni de critiquer le choix des mères d’allaiter un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout. Il est simplement d’examiner la validité de certains arguments souvent lus et entendus sur les sites qui dénigrent l’allaitement au biberon avec un autre lait, profondément culpabilisants pour les mères qui peinent à initier ou poursuivre un allaitement.

“Avant il n’y avait pas de biberon, les femmes allaitaient, voilà tout”

C’est faux ! Les biberons les plus anciens retrouvés datent de… l’âge de bronze, 5000 ans avant JC. Comment sait-on que ce sont des biberons,  et pas des fioles à gnôle ? Pour trois raisons : 

1/ Parce que l’analyse de leurs parois a permis de mettre en évidence la présence importante d’acides gras présents dans le lait d’animaux domestiques ruminants;

2/ Parce que ces récipients sont de toute petite taille (5 à 10 cm de diamètre pour la partie contenant le lait), et correspondent plutôt à l’appétit d’un petit humain; et aux faibles capacités de conservation du lait à température ambiante (pas de gâchis, Darty ne livrera de frigo que quelques millénaires plus tard);

3/ Parce que certains de ces biberons ont été retrouvés dans des sépultures aux côtés d’ossements d’enfants, dont l’un, bien conservé, était âgé d’environ 1 an (photo b ci-dessous) (Dunne 2019)

Biberon néolithique tombe enfant

Figure 2. Drawings of child graves from Dietfurt cemetery with images of the feeding vessels found in each grave.

 

La pratique du biberonnage s’est poursuivie dans l’Antiquité, comme en attestent le grand nombre de biberons antiques retrouvés, et cette statuette représentant une femme nourrissant un bébé au biberon (Dubois 2013). Le sevrage est un thème abordé dans les ouvrages antiques, et l’usage de biberon y est mentionné, comme chez le médecin grec Soranos d’Ephèse au IIe siècle après JC.

 

Alors, il n’y a pas que les pauvres bébés du XXIe siècle qui sont nourris au lait de vache ?

Le fait de nourrir les enfants au lait animal est apparu au Néolithique, avec la sédentarisation de l’espèce humaine et le développement de l’élevage. Il est donc exact de dire que les chasseuses-cueilleuses, avant le Néolithique, nourrissaient au sein leur enfant plusieurs années. Mais la possibilité de nourrir les enfants au lait animal a permis une transition démographique, avec davantage de naissances, plus rapprochées, un sevrage de lait maternel plus précoce, et une expansion de ces populations humaines (expansion sans laquelle nous ne serions pas là pour causer de tout cela.)

 

Les données semblent suggérer que dès le Néolithique, les bébés étaient diversifiés vers  6 mois, et totalement sevrés vers 2-3 ansbien loin du mythe du sevrage naturel vers 7 ans. Des estimations similaires ont été retrouvées pour des enfants nés au IXe siècle de notre ère en Angleterre (Haydock 2013). En effet, à partir de 6 mois, les besoins nutritionnels du bébé excèdent ce que la mère est capable de donner via son seul lait maternel (Humphrey 2010).

 

L’analyse du ratio entre barium et calcium dans une dent de jeune Néandertalien (UNE dent, alors restons prudentes) par une équipe américaine (Austin 2013) confirme là encore cette hypothèse d’une diversification dès 7 mois, et d’un sevrage de lait maternel rapide, dès 14 mois : en effet, le taux de barium dans le lait est élevé, ce qui n’est pas le cas de la nourriture solide. Le taux de barium dans les différentes couches de la dent en formation permettent de dater avec une bonne précision la date du sevrage (un peu sur le même principe que les cernes d’une coupe transversale d’arbre) (Austin 2013).

Les auteurs de l’article sur les biberons néolithiques notent cependant que les laits animaux auraient pu avoir un impact négatif sur la santé des bébés, en raison de leur forte teneur en lipides qui entraîne une mauvaise digestibilité, et de la possible contamination des biberons et qu’on ne peut extrapoler ces résultats pour en déduire que l’allaitement au biberon aurait été une pratique courante (Dunnes 2013).

 

Qu’en conclure ? 

L’ensemble de ces articles montrent  : 

1/ que le sevrage naturel des enfants à 7 ans n’est pas appuyé par les données scientifiques et fait davantage partie de la légende dorée de la maternité, que d’une quelconque réalité (vous pouvez relire notre article au sujet de l’allaitement non écourté ici)  

2/ que visiblement toutes les femmes du Néolithique ne pouvaient pas allaiter, et que dans ce cas elles (ou leurs proches) donnaient un biberon de lait animal au bébé ! À la différence que nous, mères du XXIe siècle, avons la possibilité de le faire dans des conditions d’hygiène satisfaisante, et que le lait pour nourrissons disponible en grande surface répond aux capacités digestives et aux besoins nutritionnels des bébés !

Et vous, avez-vous d’autres arguments-massues que vous voudriez nous voir debunker dans un prochain article ? Dites-le nous en commentaire !

 

Sources bibliographiques :

  • Austin, C., Smith, T. M., Bradman, A., Hinde, K., Joannes-Boyau, R., Bishop, D., … Arora, M. (2013). Barium distributions in teeth reveal early-life dietary transitions in primates. Nature, 498(7453), 216–219. doi:10.1038/nature12169
  • Dubois, C. L’alimentation Des Enfants En Bas Âge : Les Biberons Grecs. Les dossiers d’archéologie. January 2013, pp 64–67.
  • Dunne, J. B., Rebay-Salisbury, K., Salisbury, R. B., Frisch, A., WaltonDoyle, C., & Evershed, R. P. (2019). Milk of ruminants in ceramic baby bottles from prehistoric child graves. Nature, 574, 246–248. https://doi.org/10.1038/s41586-019-1572-x
  • Haydock, H, Clarke, L, Craig-Atkins, E, Howcroft, R and Buckberry, J (2013) Weaning at Anglo-Saxon raunds: Implications for changing breastfeeding practice in britain over two millennia. American Journal of Physical Anthropology, 151 (4). 604 – 612. ISSN 0002-9483 http://dx.doi.org/10.1002/ajpa.22316
  • Humphrey, L. T. (2010). Weaning behaviour in human evolution. Seminars in Cell & Developmental Biology, 21(4), 453–461. doi:10.1016/j.semcdb.2009.11.003 

4 commentaires

  • Vivie

    Bonjour, je crois que vous avez oublié un paramètre essentiel : la mortalité maternelle. Est-ce que les bébés étaient nourris avec des substituts au Néolithique car leurs mères ne pouvaient/ voulaient pas allaiter ou parce qu’elles étaient mortes ? Et jusqu’à il y a une centaine d’années les nourrices étaient plus en vogue que les biberons. Mon arrière grand mère a eu en nourrice un bébé de son village en 1923, né 3 jours après sa fille. La mère de ce bébé était très malade depuis quelques temps, elle est hélas décédée 6 mois plus tard (probablement d’un cancer) mon arrière grand mère a nourri au sein sa fille et le bébé durant 18 mois. C’était très fréquent encore à l’époque.

    • Le Collectif A!C

      Bonjour,
      Nous sommes tout à fait d’accord avec ce point. Nous avons choisi de ne pas l’aborder ici, car nous souhaitons développer ultérieurement la question des nourrices dans un nouvel article.

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