Lecture : « l’éducation bienveillante ça suffit ! » de Didier Pleux
Aujourd’hui nous faisons le pari audacieux de vous parler du dernier essai “L’éducation bienveillante ça suffit !” de Didier Pleux. Catalogué « psy réac » par beaucoup, présenté comme faisant la promotion de la frustration à coups de décisions parentales arbitraires et injustes (niark niark niark, je vais te frustrer encore un peu plus sale gosse, histoire de te mater), Didier Pleux peut donner l’image d’un psy pas très marrant, notamment dans certains de ses passages télévisés. Il est célèbre et conspué pour son ouvrage « De l’enfant roi à l’enfant tyran »qui dresse le portrait de parents débordés par des enfants insupportables. L’a priori n’est donc pas hyper favorable.
Mais au Collectif A!C, nous allons au-delà de nos a prioris !
Ces derniers mois, cela s’agite beaucoup dans le monde de la parentalité sur les réseaux sociaux. Du côté des défenseurs de l’éducation positive qui se targuent régulièrement d’appuyer leurs idées sur les découvertes en neurosciences, l’argument avancé pour critiquer les détracteurs de l’éducation positive se base sur l’idée selon laquelle ceux-ci fonderaient leur idéologie sur des concepts psychanalytiques périmés qui, de fait, n’apporteraient rien au débat.
Ironie du sort, Didier Pleux déteste la psychanalyse, en particulier Françoise Dolto dont il retrouve les idées dans les écrits de Gueguen, Filliozat and co (tout le monde se renvoie la patate chaude de la psychanalyse), mais pourtant il partage le même constat que des psys d’orientation analytique sur les dérives et méfaits de l’éducation positive. Dans ce contexte, lire un essai rédigé par un psychologue « TCCiste » nous semblait être une bonne idée, afin de nous faire notre propre opinion de ce livre – nous vous encourageons d’ailleurs à le lire également, car rien de tel qu’une lecture faite par soi-même pour se faire une idée exacte du sujet au lieu de se contenter des résumés lapidaires sur les réseaux sociaux.
Qui est Didier Pleux ?
Didier Pleux est psychologue spécialisé en thérapies comportementales et cognitives (TCC), Docteur en psychologie, et dirige l’Institut Français de Thérapie Cognitive. Une de ses caractéristiques principales est qu’il n’aime pas vraiment Françoise Dolto et ses idées… c’est rien de le dire ! Didier Pleux est un psychologue qui exerce une activité clinique. Nous le précisons, car ce n’est pas toujours une évidence et ce n’est pas le cas de tous les essayistes qui publient sur cette thématique. Ses observations se basent donc sur une expérience clinique (c’est toujours plus fiable qu’un influenceur parental qui a un unique enfant de 5 ans, ou qu’un psychologue qui n’a jamais eu à accompagner des familles en difficulté). Didier Pleux s’est également confronté, il y a peu, avec Catherine Gueguen dans les colonnes du Figaro.
Didier Pleux est-il un précurseur de la parentalité positive ?
Oui ! Ce que ne disent jamais les nombreux détracteurs de Didier Pleux, c’est qu’il a contribué à l’implantation en France du “Positive Parenting Program”, dit Triple P, soit le programme de soutien à la parentalité positive. Eh oui, incroyable, mais ce ne sont pas nos influenceurs favoris qui ont introduit la parentalité positive en France, mais le vilain psy adepte de la frustration enfantine, le professeur Rogue de la psychologie : Didier Pleux. Ce programme (le programme Triple P, donc) bénéficie d’un bon niveau de preuves d’efficacité dans la littérature scientifique… Et ça, c’est quand même plutôt chouette ! Malgré cela, et Pleux le regrette et l’explique très bien dans son ouvrage, ce programme n’a pas été suffisamment soutenu par le gouvernement et son implantation est restée très parcellaire sur notre territoire…
Alors pourquoi Didier Pleux fustige-t-il l’éducation bienveillante s’il a lui-même soutenu un programme de parentalité positive ?
Eh bien, parce que la parentalité positive telle qu’elle est décrite dans la littérature scientifique anglo-saxonne, n’a rien à voir avec celle proposée dans les best-sellers de l’éducation bienveillante en France. Nous y reviendrons dans un article consacré, mais pour résumer, disons que la parentalité positive propose un modèle éducatif sans châtiments corporels ni maltraitances psychologiques mais avec de l’autorité, alors que l’éducation bienveillante propose un modèle éducatif où l’autorité est souvent présentée comme synonyme de maltraitance.
“L’éducation bienveillante, ça suffit !” C’est pas un peu exagéré ce titre ?
En effet, le titre est volontairement provocateur. Sachez que la décision du titre final d’un livre ne revient pas à l’auteur, mais à l’éditeur, le but étant de trouver un titre accrocheur (et vendeur, bien sûr). C’est pourquoi il est important d’aller au-delà de son impression première ! Dans ce livre, Didier Pleux critique la version française de l’éducation bienveillante, qu’il qualifie d’irrationnelle, donne ses arguments, soutient que l’éducation ne peut être tout le temps bienveillante, et qu’une telle approche fragilise les enfants, à moyen et long terme. Il y suggère qu’un équilibre essentiel est à trouver entre amour et frustration. Bouhhhh le vilain mot que voilà !
Alors, il faut frustrer les enfants ?
Là n’est pas le sujet, en fait. Il n’y a aucun intérêt à rajouter de la frustration volontairement dans la vie d’un enfant. La vie elle-même est pleine de situations frustrantes. En revanche, Didier Pleux explique qu’il est fondamental de ne pas éviter de confronter l’enfant à la frustration qu’il rencontrera immanquablement dans la vie de tous les jours. Il faut l’entraîner à supporter la frustration au lieu d’éviter la confrontation aux situations frustrantes. Cela commence par de petites choses (attendre un peu pour le goûter, prêter son jouet etc…). Cet apprentissage rend l’enfant plus apte à supporter les déconvenues, à ne pas considérer l’environnement comme toujours responsable de son mal-être, à prendre en charge ses ressentis désagréables pour les surmonter. Selon Didier Pleux, plus un environnement éducatif est positif (c’est-à-dire un environnement où il y a le moins de frustration possible, et où le parent s’efforce de rendre le quotidien le plus positif possible pour son enfant), plus l’enfant se construit dans un ego tout-puissant.
Finalement, que penser de “L’éducation bienveillante, ça suffit!” ?
Eh bien… Après la lecture de ce livre et la redéfinition du concept de frustration à la lumière des connaissances d’un psychologue comportementaliste, nous devons bien admettre que son discours est extrêmement intéressant, nuancé et… très bienveillant finalement. A la fois avec les enfants, bénéficiaires de cette vision équilibrée et rationnelle de l’éducation (concept qu’il développe davantage à la fin de son ouvrage), mais aussi avec leurs parents. Car quoi de plus important pour un enfant qu’une relation équilibrée avec son parent ? L’apprentissage de la tolérance à la frustration n’est en aucun cas incompatible avec la tendresse, le respect et la bienveillance éducative.
N’hésitez pas à donner votre avis dans les commentaires.
Et pour vous donner encore plus envie de le lire, voici quelques extraits choisis de cet ouvrage nécessaire, nuancé et très bien écrit à mettre dans toutes les mains…
A propos du programme Triple P, soutenu par Didier Pleux et dont il a participé à l’implantation partielle en France (p.41 et 42) :
“Ce programme (…) a fait le choix de ne décrire que des comportements et non de les interpréter pour éviter les qualifications qui enfermeraient l’enfant dans une image négative : même lorsqu’un comportement est inadéquat, cela n’a rien à voir avec la valeur de l’enfant. (…) Il y a une cohérence dans cette démarche dont l’objectif est de donner des repères aux parents afin qu’ils puissent asseoir leurs choix éducatifs : évaluer ses propres attentes en éducation, être vigilant sur les influence extérieures, savoir établir des objectifs de changement (…).”
Au sujet de l’éducation positive à la française, Didier Pleux constate les éléments suivants lorsqu’il s’intéresse aux ouvrages écrits par les personnes qui ont largement contribué à diffuser cette mouvance (p.44) :
“Très vite, je compris qu’Isabelle Filliozat partageait les hypothèses classiques de la psychanalyse. Comme Françoise Dolto (…) ou Alice Miller, elle est persuadée que l’enfant ne peut qu’être victime de la parentalité. Elle aussi croit à la toute-puissance de l’inconscient (…). Tout se passe en dehors de la conscience des parents, l’enfant peut se déconstruire en dehors d’eux et toute tentative éducative est vouée à l’échec. Dès l’introduction d’Au coeur des émotions de l’enfant, l’auteur (ndlr : Isabelle Filliozat) affirme que ce qui peut rendre un être humain malheureux, c’est sa mémoire “inconsciente” de ses souffrances d’enfant : le déterminisme de la petite enfance est bien le dogme incontournable qui va guider les propos d’Isabelle Filliozat. Certes, il n’est pas question de minimiser l’impact des premières années de la vie d’un enfant, mais je reste toujours opposé à l’idée de fatalité qui marquerait une enfance douloureuse et engendrerait forcément une vie adulte de souffrance. ”
Concernant la frustration, et la relation aux autres qui découle – ou non – de la capacité à supporter la frustration (p46)
Il me paraît donc logique de combler les demandes affectives qui génèrent des réactions émotionnelles et qui signalent une carence, un manque, mais aussi d’apprendre progressivement à l’enfant à accepter la frustration inhérente à la réalité de la vie. Il ne peut pas obtenir ce qu’il veut tout le temps, il ne peut pas vivre simplement selon son envie et la présence de l’autre n’est pas uniquement là pour répondre à ses désirs ou besoin. L’être humain ne peut développer le sentiment d’autrui s’il n’est jamais frustré dans sa relation à l’autre puisque, dans ce cas, autrui est chosifié à son profit.
A propos de l’adultisme, forme d’autoritarisme si souvent brandi par les défenseurs de l’éducation positive, Didier Pleux explique également ceci (p.49) :
“Faire autorité (ndlr : sur l’enfant) n’est en rien de l’autoritarisme : alors que ce dernier impose, annule, contraint, castre, la bonne autorité, bien au contraire, transmet, enseigne, propose, montre tout en sachant “déséquilibrer” (au sens piagétien), contredire, imposer, interdire et parfois même sanctionner. Il ne s’agit pas d’une relation d’égal à égal avec l’enfant mais d’une relation d’autorité, représentée par la verticalité qui sait s’affirmer tout en respectant l’incontournable équation “amour et frustration”. A défaut, une autorité sans respect inconditionnel de l’enfant, sans affection ni empathie, versera subrepticement dans l’autoritarisme d’antan et, dans ce cas, pourra être résumée par la formule d’Alice Miller : “c’est pour ton bien”; cette éducation qui façonne l’enfant selon l’unique volonté adulte doit disparaître.”
Nous constatons que c’est strictement ce qu’écrit Claude Halmos, psychanalyste, dans son ouvrage « L’autorité expliquée aux parents », preuve que la convergence entre cliniciens TCCistes et psychanalystes existe bel et bien sur cette question !
Alors, est-ce que cet article vous a un peu donné envie de découvrir cet essai ?
« L’éducation bienveillante, ça suffit ! » de Didier Pleux, éditions Odile Jacob, 19€90
6 commentaires
Cloe
Merci pour cet éclairage !
Ça me conforte dans le choix des 2 seuls livres sur la parentalité que je viens de commander (j’en suis à mon 7eme mois de grossesse), dont ce monsieur est l’auteur. Pas encore reçus ni lus mais dans les descriptions, il s’agissait d’un des rares auteurs qui plaçait sa confiance dans les parents et ne les prenait pas de haut ni pour des attardés. Ça m’a semblé de bons signes comparativement aux multitudes de bouquins qui jouent subtilement sur la culpabilité et les modes d’emploi miracle… J’ajouterai celui ci à ma liste de lecture 🙂
La
Avant avoir lu votre article, le titre m’aurait paru simplement vendeur et je ne me serais pas attardée dessus. Après avoir lu votre avis, cela me donne envie de le découvrir. C’est pas mal de décortiquer les lectures comme ça. J’ai quasiment pas le temps (et l’énergie) de lire alors je ne me permets pas de m’aventurer dans un énième livre sur l’éducation où je me sentirais mal après 😅. Pour le coup ça n’a pas l’air d’être le cas. Merci à vous pour cet éclairage.
Letort
Merci pour cet article. Ce livre fait partie de mes prochaines lectures. J’espère qu’il pourra m’aider à étayer mes explications aux parents face à des collégiens quelque peu égarés (vis ma vie de prof…).
Blanc
D’abord merci pour cet article ! Mais du coup ça me donne envie de mieux comprendre la différence entre psychanalyse et TCC ? Un futur article pour les 100% novices ?! Les réponses « « Google » me semblent très orientées pro ou contre l’une ou l’autre de ces méthodes.
Sattler
Eh bien, ça donne envie de le lire! Effectivement malgré le titre un peu « racoleur » Merci pour ce travail Mesdames!!
Pleux
Dans le train, je revenais d’une conférence et parcourais internet… et je tombe sur cet article! Merci, merci! Enfin quelqu’un qui m’a lu et ne tombe pas dans la caricature. Comme disait Jj Rousseau: « s’instruire avant de réfuter! »
Bien cordialement,
Didier Pleux