Burn-out parental et éducation “positive”, quels liens ?
“L’éducation positive m’a menée au burn-out !”
“Je ne supportais plus mes enfants, j’avais envie de fuir la maison”
“Quand j’étais à fond dans l’éducation positive, je me sentais tout le temps coupable, j’avais l’impression de ne jamais faire assez bien”
“Depuis que j’ai arrêté d’écouter les discours pro-éducation bienveillante, je respire enfin”
“Je me suis retrouvée dans ma maternité quand j’ai arrêté de suivre ces personnes” …
Combien de fois avons-nous entendu (et tenu, pour certaines d’entre nous) ces propos sur les réseaux sociaux ? Chez chacune des membres du Collectif Assez, les témoignages des mères “rescapées” de l’éducation positive, victimes de burn-out, s’empilent par centaines… C’est même l’une des raisons d’être de cette association.
Mais que disent les recherches scientifiques sur le burn-out parental ?
Et d’ailleurs, y a-t’il des sources ? Eléments de réponse :
En 2022, Serge Dupont, Isabelle Roskam et Moïra Mikolajczak écrivaient une revue narrative titrée « The Cult of the Child: A Critical Examination of Its Consequences on Parents, Teachers and Children« . Une revue narrative, par définition, n’est pas exhaustive de la littérature scientifique et n’a pas vocation à donner des résultats statistiques. Cette revue était basée sur une sélection de publications, et son but affiché était d’initier le débat au sujet des effets, sur la famille et la société, du culte de l’enfant. Qu’entendent les auteurs par « culte de l’enfant » ? Il s’agit du fait que les intérêts de l’enfant sont désormais placés au-dessus de tous les autres, et ce de manière parfois excessive (1). Le but de la revue n’était pas de discuter du bien-fondé de cette attitude parentale (d’autant plus que tous les parents ne pratiquent pas le « culte de l’enfant », loin s’en faut) mais d’examiner les conséquences qui en découlent dans le modèle social qui est le nôtre : la société occidentale. Cette revue d’opinion émettait des hypothèses, sans apporter de preuves scientifiques.
Tout récemment, Isabelle Roskam et Moïra Mikolajczak ont publié une méta-analyse sur le burn-out parental afin de faire le point sur les 15 dernières années de recherche sur le sujet (2). Cette fois-ci, il s’agit d’une étude statistique compilant 49 études dans 42 pays, et incluant plusieurs dizaines de milliers de parents cumulés.
Cette méta-analyse de Moïra Mikolajczak et Isabelle Roskam met en avant le fait que le perfectionnisme exigé dans le domaine de la parentalité est corrélé au burn out parental, parmi d’autres facteurs tels que la désorganisation familiale, le manque de soutien social, et une faible intelligence émotionnelle.
Dans ce texte, une phrase a attiré l’attention d’un certain nombre de lecteurs : la prévalence du burn-out dans les pays occidentaux serait due en partie à la pression à exercer la parentalité dite “positive”.
“Another explanatory factor in cultural differences in the prevalence of PB appears to be the increasing pressure on parents (Meeussen & Van Laar, 2018), and in particular the pressure to practice “positive parenting”, which is especially prevalent in Western countries (Lin et al., 2021)”
La phrase de la discorde
Cette mention a été remise en question par certains tenants de l’éducation bienveillante, arguant que ce n’était qu’une phrase au milieu du papier, et qu’elle traduisait simplement le sentiment anti-parentalité positive de deux des autrices (docteures en psychologie).
Rappelons tout d’abord qu’Isabelle Roskam et Moïra Mikolajczak ne se positionnent pas contre une parentalité positive à l’égard des enfants, mais que, étant spécialistes du burn-out parental, elles alertent sur les risques à mettre la pression aux parents, et faire peser des choses trop lourdes sur leurs épaules.
En réalité, la phrase présente dans cette méta-analyse s’accompagne d’une référence à une étude publiée en 2021 par Gao-Xian Lin dans « Journal of Social and Personal Relationships », qui s’intitule « Parenting with a smile: Display rules, regulatory effort, and parental burnout » (3).
Le travail émotionnel des parents
Dans cette étude, les chercheurs et chercheuses s’appuient sur la notion de travail émotionnel « Emotional Labor », développée par la professeure de sociologie de Berkeley Arlie Russell Hochschild en 1983 (4), qui consiste à gérer ses émotions (et leurs expressions) afin que notre posture corresponde aux attendus d’un poste. En effet, cette notion avait été développée en rapport avec le milieu du travail au départ : Arlie Russell Hochschild a étudié deux catégories professionnelles, les hôtesses de l’air (censées être toujours souriantes et aimables), et les huissiers (censés être toujours suffisamment déplaisants pour recouvrer des factures impayées).
Comme le ”job” de parents requiert de plus en plus de savoir gérer ses émotions afin de rester « positif » et d’avoir des réactions « positives » envers ses enfants, la notion de travail émotionnel s’applique également dans les situations familiales (et se rapproche plus, en théorie, de travail émotionnel de l’hôtesse de l’air que de celui de l’huissier).
Il ressort de l’étude “Parenting with a smile” que les parents perçoivent clairement les règles sur la façon de présenter leurs émotions dans le parentage, et que cela leur demande des efforts pour s’y conformer.
Pour ce faire, ceux-ci doivent utiliser des techniques appelées jeu (au sens de jeu d’acteur) superficiel et jeu en profondeur (« surface and deep acting »). Le jeu superficiel nous force à avoir un sourire alors qu’on ne se sent pas bien par exemple ou qu’on n’en a pas envie. Le jeu en profondeur fait que l’on va déployer des efforts pour changer notre « état d’esprit », pour se sentir en phase avec ce qui est attendu. Ces efforts de régulation sont coûteux, donc rendent les parents plus fragiles et accroissent leur vulnérabilité au burn-out parental.
Quel est le coût émotionnel pour les adultes de certaines pratiques parentales « positives » ?
De fait, certaines pratiques proposées par l’éducation positive comme prendre un enfant dans ses bras pour le câliner quand il fait une crise de colère et nous tape, va générer un travail émotionnel coûteux pour le parent (en plus d’être une pratique pas toujours efficace pour diminuer ce type de comportements, mais nous y reviendrons !)
D’autre part, lorsque le parent ne va pas arriver à faire ce travail car il n’en a plus les ressources, il risque d’exploser, en se mettant par exemple à hurler, ce dont il culpabilisera par la suite car il a échoué, avec toutes les conséquences dramatiques promises par l’éducation bienveillante sur le développement émotionnel de l’enfant (augmentation du cortisol, barbecue de neurones, destruction du potentiel de l’enfant, absence d’attachement sécure, etc)
Un véritable cercle vicieux, puisque le burn-out peut avoir des conséquences sur la relation parent-enfant, en faisant passer le parent en mode « pilote automatique » et en se désinvestissant émotionnellement.
En conclusion…
Les chiffres étaient, selon les auteurs, tous significatifs dans cette étude (2), et bien que celle-ci demande à être répliquée pour en vérifier les résultats, nous pouvons penser qu’en effet, l’éducation bienveillante telle qu’elle est proposée actuellement par certains auteurs, ne tient pas suffisamment compte des besoins des parents et met la barre trop haut, ce qui favorise, avec d’autres facteurs, la survenue du burn-out parental.
Il est évident qu’il est essentiel de continuer à travailler au bien-être des enfants… sans le faire au détriment des parents ! Et avec de vrais moyens proposés par l’État (formations à destination des professionnels et des parents, accompagnement après la naissance et pas uniquement durant la grossesse, augmentation du nombre de places en crèche et de la rémunération des congés parentaux,etc. ).
Sources bibliographiques :
- Dupont, Mikolajczak, et Roskam, « The Cult of the Child ». Social Sciences 2022. 10.3390/socsci11030141
- Mikolajczak et al., « 15 Years of Parental Burnout Research ». Current Directions in Psychological Science 2023. https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/09637214221142777
- Lin et al., « Parenting with a smile: Display rules, regulatory effort, and parental burnout ». Journal of Social and Personal Relationships, 2021.https://doi.org/10.1177/0265407521101912
- Hochschild, « The Managed Heart : Commercialization of Human Feeling », University of California Press, 1983. https://www.ucpress.edu/book/9780520272941/the-managed-heart
Pour aller plus loin, vous pouvez lire :
Parentalité positive et éducation bienveillante : un seul et unique concept ?
2 commentaires
Dooreseau
Bonsoir,
Vous concluez « l’éducation bienveillante telle qu’elle est proposée actuellement par certains auteurs, ne tient pas suffisamment compte des besoins des parents et met la barre trop haut, ce qui favorise, avec d’autres facteurs, la survenue du burn-out parental »
L’éducation bienveillante est-elle un facteur de risque à la survenue du burn-out ou bien la meta analyse conclue-t-elle a un lien de causalité entre l’éducation bienveillante et le burn-out ?
Merci de vos précisions
Le Collectif A!C
bonjour,
la conclusion de la méta-analyse sur cette partie est : « Aiming for the best is not without risk, however, as the current meta-analysis shows that
several dimensions of parenting perfectionism increase the risk of PB and, as the next section shows, PB has serious consequences. »
Le perfectionnisme parental augmente le risque de burn-out parental.
Les mêmes autrices avaient précédemment montré que le niveau de burn-out parental est lié à la culture individualiste du pays (on observe moins de burn-out parentaux dans les pays où l’individualisme est moins prégnant), en raison de la responsabilité plus lourde que fait reposer sur les parents l’individualisme.
En fin de l’étude, les autrices précisent que des études longitudinales (suivi au long cours de familles) seraient nécessaires pour avoir des données plus robustes.