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Allaitement,  Santé

Freins restrictifs buccaux : prudence !

Freins restrictifs buccaux, frénectomie, frénotomie linguale, section de freins… Nous sommes sûres que vous en avez déjà entendu parler, surtout si vous allaitez votre bébé au sein et que vous fréquentez les réseaux sociaux !

Ces deux dernières décennies, on assiste à une augmentation drastique du nombre d’interventions chirurgicales sur les freins buccaux des tout-petits (AAP, 2024 ; Gremmo-Féger, 2021). Les membres du Collectif A!C en entendent régulièrement parler sur leurs comptes Instagram !

Si, au départ, les difficultés supposément dues aux freins buccaux ne concernaient que l’allaitement au sein, désormais les conséquences imputées à ceux-ci sont parfois pour le moins diverses et variées : RGO, difficultés de sommeil, difficultés de langage, difficultés d’apprentissage etc.

La mise en avant de l’allaitement maternel sur les réseaux sociaux explique pour partie la popularité grandissante des interventions chirurgicales sur les freins buccaux. Les influenceurs.ses en parentalité évoquent leur expérience autour de cette question; les noms des professionnels de santé ‘bien formés’ selon elleux circulent en story sur instagram et Facebook, quand ce ne sont pas les professionnels eux-mêmes qui font la promotion de ces pratiques sur leurs comptes instagram, dans des podcasts ou autres… 

De nombreux comités d’experts s’inquiètent de ce constat : l’Association des dentistes australiens en 2020, la Breastfeeding Academy en 2021 et en France plus récemment, l’Académie de Médecine, qui a d’ailleurs publié un communiqué afin d’alerter sur ces pratiques parfois abusives.

Avant toute chose, qu’est-ce qu’un frein buccal ?

Pour faire simple, tout le monde a des freins (sous la langue, sous la lèvre supérieure et inférieure, entre la gencive et la joue). Les freins sont des structures anatomiques dont le rôle est de maintenir la langue et les lèvres attachées aux os de la mâchoire. Le questionnement, dans cet article, se joue autour du fait qu’ils soient restrictifs ou non, c’est-à-dire qu’ils empêchent éventuellement une mobilité satisfaisante de la langue (“ankyloglossie”) et impactent les fonctions qui lui sont dédiées (alimentation, déglutition, succion, articulation…)

Que sait-on sur la diversité anatomique normale des freins dans la population ?

Justement, pas grand’chose !  L’anatomie précise des freins commence tout juste à être analysée. C’est d’autant plus problématique que les sections de freins buccaux ont commencé à être recommandées à partir de 2004, alors que leur structure anatomique n’a vraiment été étudiée qu’à partir de…2014 (Gremmo-Féger 2021). 

Qu’entend-on par ‘restriction’ due à un frein buccal ?

Si on plonge dans la littérature à ce sujet, il en ressort les éléments suivants :

  • Pas de critères diagnostiques validés sur le plan international, ce qui signifie qu’actuellement, les professionnels de santé concernés par cette problématique utilisent divers outils qui ne mesurent pas forcément les mêmes caractéristiques. 
  • Pas d’harmonisation sur les classifications des différents types de freins et leur impact supposé sur les différentes fonctions dédiées à la face. Par exemple, la terminologie utilisée pour désigner un ‘frein postérieur’ n’est pas du tout admise par l’ensemble de la communauté scientifique (Mills et al, 2019 ; AAP, 2024).

La conséquence directe de cela est qu’on peut lire absolument tout et son contraire et que les parents se retrouvent face à un choix cornélien quand il s’agit de faire couper ou non le frein de leur bébé. 

Que dit précisément la littérature sur l’impact des freins restrictifs buccaux sur l’allaitement maternel ?

A l’heure actuelle, il n’y a pas de consensus sur une véritable amélioration de la succion du bébé au sein après frénectomie. Cela veut dire, en d’autres termes, que faire couper le frein de votre bébé ne signifie pas qu’il va améliorer sa technique de succion à coup sûr et que votre allaitement s’en portera mieux, bien au contraire.

Certaines études (comportant des biais méthodologiques car les données sont recueillies de façon rétrospective par des questionnaires et incluent un faible nombre de participants, et avec des résultats comportant de grandes variabilités), indiquent que faire couper le frein du bébé a permis, selon les études, à certaines mères d’avoir moins mal pendant les tétées (Cochrane Review de 2017).

Et sur la question des troubles de la diction de l’enfant, est-ce que couper le frein va permettre d’améliorer la diction ?

A l’heure actuelle, non, il n’y a aucune preuve que faire couper le frein de l’enfant va permettre d’améliorer sa diction et encore moins de preuves que le faire par anticipation va prémunir le bébé de futures difficultés de langage.

Et sur la question des effets secondaires consécutifs à ce type d’intervention chirurgicale, a-t-on des données ?

Ce sont des risques (principalement infectieux et hémorragiques sur la zone de la cicatrice) qui existent même s’ils restent rares, fort heureusement. Il est également important de rappeler que les massages et mobilisations de la cicatrice en post-opératoire ne sont absolument pas montrés comme bénéficiant d’une efficacité ou d’un intérêt quelconque (AAP, 2024). Par ailleurs, ils ne sont pas non plus dépourvus de risques pour le bébé : en particulier, une aversion orale, due aux multiples sollicitations intra-orales, peut survenir.

Pour résumer…

  • Si des difficultés d’allaitement sont rencontrées en particulier pendant les premières semaines de vie, il est essentiel qu’un bilan complet pluridisciplinaire et global (pas uniquement sur la succion ou les structures anatomiques oro-faciales du bébé) soit effectué, avec des professionnels de santé qualifiés (rappelons, à toutes fins utiles, qu’en France les chiropracteurs, les conseillères en lactation et les ostéopathes ne sont PAS professionnels de santé, à moins qu’ils ne détiennent en amont un diplôme reconnu par le ministère de la santé et la HAS). Un accompagnement et un soutien aux parents devrait être offert par les professionnels de santé en périnatalité autour de ces questions d’allaitement avant toute autre chose (Knight 2023)
  • L’ajustement de la dyade mère-bébé pour la mise en place de l’allaitement peut mettre du temps et comporter un certain nombre d’embûches (douleurs les premiers temps, difficultés de prise du sein par le bébé qui doit ajuster son réflexe de succion à la forme du mamelon etc). Là encore, un soutien pluridisciplinaire sera souvent nécessaire.
  • L’intervention chirurgicale sur les freins restrictifs buccaux ne devrait être envisagée qu’en dernier recours après un bilan anatomique et fonctionnel complet, toujours pluridisciplinaire.

Cette intervention ne devrait jamais être proposée pour anticiper d’hypothétiques problématiques futures. Les praticiens de santé qui font pression sur les parents en mentionnant d’éventuelles problématiques futures s’ils ne réalisent pas l’intervention chirurgicale, franchissent une limite inacceptable en l’état actuel des connaissances.

Et vous, quelle est votre expérience avec les freins restrictifs buccaux ? Avez-vous traversé des questionnements à ce sujet avec votre enfant ? Avez-vous du faire pratiquer cette intervention, quel est votre retour ?

 

BIBLIOGRAPHIE : 

AAP 2024 : Thomas, J.; Bunik, M.; Holmes, A.; Keels, M. A.; Poindexter, B.; Meyer, A.; Gilliland, A.; SECTION ON BREASTFEEDING; Long, S.; Richter, M.; Hannon, E.; Kellams, A.; Williams, T.; Feldman-Winter, L.; Mass, S.; Noble, L.; St. Fleur, R.; Stellwagen, L.; Thomas, J.; Younger Meek, J.; O’Connor, M.; Ware, J.; Beskin, K.; Onyema-Melton, N.; SECTION ON ORAL HEALTH; Karp, J. M.; Beyer, E.; Brooks, C.; Kimball, C. E.; Tate, A. R.; Feldman, L.; Zaborowski, M.; Crespin, M.; Moursi, A.; Beskin, K.; COUNCIL ON QUALITY IMPROVEMENT AND PATIENT SAFETY; Shaikh, U.; Alvarez, F. J.; Chuo, J.; Drayton Jackson, M.; Kim, J. M.; Miotto, M. B.; Paul, R.; Rea, C.; Spencer, S.; Tyler, A.; Vachani, J.; Guch, C.; COMMITTEE ON FETUS & NEWBORN; Eichenwald, E.; Ambalavanan, N.; Guillory, C.; Hudak, M.; Kaufman, D.; Martin, C.; Lucke, A.; Parker, M.; Pramanik, A.; Wade, K.; Jancelewicz, T.; Narvey, M.; Miller, R.; Barfield, W.; Grisham, L.; Couto, J.; SECTION ON OTOLARYNGOLOGY-HEAD AND NECK SURGERY; Simons, J. P.; Sobol, S. E.; Dedhia, K.; Gallagher, T.; Kelley, P. E.; Mudd, P. A.; Ostrower, S.; Raynor, E. M.; Reilly, B. K.; Windsor, A.; Thorne, V. B. Identification and Management of Ankyloglossia and Its Effect on Breastfeeding in Infants: Clinical Report. Pediatrics 2024, 154 (2), e2024067605. https://doi.org/10.1542/peds.2024-067605.

Australian Dental Association. Ankyloglossia and Oral Frena Consensus Statement. 2020.

Breastfeeding Academy 2021 : LeFort, Y.; Evans, A.; Livingstone, V.; Douglas, P.; Dahlquist, N.; Donnelly, B.; Leeper, K.; Harley, E.; Lappin, S.; the Academy of Breastfeeding Medicine. Academy of Breastfeeding Medicine Position Statement on Ankyloglossia in Breastfeeding Dyads. Breastfeeding Medicine 2021, 16 (4), 278–281. https://doi.org/10.1089/bfm.2021.29179.ylf.

Communiqué de l’Académie nationale de médecine. Coup de Frein à La Frénotomie Linguale Chez Les Nouveau-Nés et Les Nourrissons ! 2022.

Cochrane Review : O’Shea, J. E.; Foster, J. P.; O’Donnell, C. P.; Breathnach, D.; Jacobs, S. E.; Todd, D. A.; Davis, P. G. Frenotomy for Tongue-Tie in Newborn Infants. Cochrane Database of Systematic Reviews 2017, 2021 (6). https://doi.org/10.1002/14651858.CD011065.pub2.

Gremmo-Féger, G. La Saga Des « freins Buccaux Restrictifs » Chez l’enfant Allaité : S’appuyer Sur Les Connaissances Scientifiques Pour Éviter Des Interventions Inutiles. Co-naître. Janvier 2021.

Knight, M.; Ramakrishnan, R.; Ratushnyak, S.; Rivero-Arias, O.; Bell, J.; Bowler, U.; Buchanan, P.; Carter, C.; Cole, C.; Hewer, O.; Hurd, M.; King, A.; Juszczak, E.; Linsell, L.; Long, A.-M.; Mottram, L.; Murray, D.; Oddie, S.; Quigley, M.; Stalker, V.; Stanbury, K.; Welsh, R.; Hardy, P. Frenotomy with Breastfeeding Support versus Breastfeeding Support Alone for Infants with Tongue-Tie and Breastfeeding Difficulties: The FROSTTIE RCT. Health Technol Assess 2023, 1–73. https://doi.org/10.3310/WBBW2302.

Liste des professionnels de santé reconnus par le ministre de la santé et la HAS : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2012-06/09r03_reco_delivrance_information_personne_etat_sante.pdf

Mills N, Pransky SM, Geddes DT, Mirjalili SA (2019) What is a tongue tie? Defining the anatomy of the in-situ lingual frenulum. Clin Anat 32:749–761. https://doi.org/10.1002/ca.23343

5 commentaires

  • Laure

    Mon plus grand regret avec mon fils, avoir fait couper son frein sans me renseigner suffisamment avant. Mais… grossesse tardive (bien que sans problèmes), énorme fatigue des premières semaines et allaitement difficile, une recommandation par ma sage-femme (pourtant de confiance) et un coup de ciseaux inutile et douloureux. On aura au moins échappé aux massages, recommandés par une conseillère en lactation quelques semaines plus tard, donc bien après la cicatrisation naturelle, heureusement. Conseillère qui n’aura pas tellement aidé pour le reste d’ailleurs, les douleurs, engorgements et les tétés interminables n’ont pas changées, seul le temps et ma confiance en moi et en mon fils ont finit par rendre les choses plus fluides. Mon fils s’est sevré du sein tout seul après un an d’allaitement mixte seins + un biberon lait maternel ou maternisé par jour. Aujourd’hui à 3,5 ans, il cause très bien (et tout le temps). Bref, en Suisse aussi ça dérape sur les freins…

  • Elise

    Premier allaitement pas évident à mettre en place, une chiro m’a parlé de frenectomie mais après m’être renseignée (je suis pro de santé) j’ai refusé, le bénéfice étant trop incertain par rapport à la douleur engendrée.
    Finalement nous avons fait des petits exercices et massages intrabuccaux et faciaux tout doux (je suis kiné, j’aime masser et c’était un moment plutôt cool avec mon bébé) et à 5 mois d’allaitement j’ai dit stop et le biberon est devenu son meilleur pote!
    Courage à toutes les mamans qui passent par la, perdues, fatiguées, prêtes à tout pour trouver une solution. Et honte à ceux qui tirent leur épingle du jeu en se faisant un max de thunes tout en faisant souffrir inutilement des pauvres bébés/ familles

  • Laurence

    Merci pour cet article complet sourcé.
    J’ai une question sur les débuts des sections des freins. Dans les années 80, beaucoup de freins buccaux étaient coupés automatiquement à la maternité. Alors quand je dis « beaucoup », j’extrapole les informations que j’ai récoltées auprès de mes proches et notamment les parents de ces années. Mais en tout cas, ça semblait être une pratique régulière.
    Avez-vous des données à ce sujet ?

  • Johane

    C’est effectivement bien triste que les professionnels de santé soient souvent trop peu formés et qu’ils laissent place à des personnes moins compétentes….ici en dehors d’une infirmière consultante en lactation avec laquelle j’ai travaillé toutes les pistes elle m’a dirigé vers une chiropractrice qui heureusement n’était pas pro frenectomie. Bien que « formée » elle m’a clairement indiqué que dans notre cas elle n’était pas persuadée du bénéfice d’une intervention mais nous avions déjà travaillé beaucoup de choses et malgré de l’amélioration toujours de grosses difficultés au sein et surtout une apnée du sommeil… c’est finalement chez un ORL qui travaille en pluridisciplinaire qu’on a difficilement décidé d’essayer l’intervention, notamment compte tenu des risques limités. Ici sans regrets aucun. Malgré un moment difficile la prise du sein a été grandement améliorée et surtout l’apnée du sommeil a cessé.
    Espérons que bientôt viendront de sérieuses études sur le sujet pour pouvoir prendre des décisions éclairées !
    Je rejoins le commentaire précédent quant aux usages des générations précédentes. Mon arrière grand mère et ma grand mère m’ont indiqué qu’à leur époque il était fréquent que les sages femmes coupent à la naissance je suis perplexe !

  • Lucie

    Merci pour cet article qui remet l’église au milieu du village.
    J’ai également été influencé par les réseaux sur ce sujet même si dès la maternité on m’a fait une remarque sur le frein de langue de mon fils sans pression d’intervention, juste évoqué pour « surveillance ». Mais la graine a été semée.
    Je suis allé voir une consultante en lactation car il me semblait que c’était une bonne idée (merci la leche league..).
    Étant un peu inquiète de ce consensus et des arguments non étayés, j’ai souhaité avoir l’avis de ma sage femme qui m’a préconisé de prendre un second avis dans un lactarium. Quelle libération ! C’est gratuit. Vous avez un(e) pédiatre qui vous reçoit, regarde votre enfant, regarde votre allaitement et surtout m’a permis de dissiper mes doutes.
    Pour finir sur ce sujet, j’ai évidemment évoqué ce sujet avec ma pédiatre qui est très inquiète de cette mode.

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